10 ans. C’est maintenant

Un caillou cassé en deux. Net.
Comme les colliers de cœur des amoureux.
Il garde une moitié dans une bouteille à la mer.
Elle regarde l’autre moitié accrochée à la terre.
Dans 10 ans, peut-être.

Cheveux d’algues entremêlés. Souffle coupé.
Amoureuse océane.
Elle s’abandonne.
Elle s’offre à la vie.
Elle se terre à la mort.

Entrelacs de bois mouillé. Craquements silencieux.
Amoureux en surplus de terre.
Il s’ancre.
Il s’enficelle à l’arbre.
Il lave les gouttes de pluie de tout soupçon.

Dressée sur la pointe des pieds
A la pointe du monde
Aiguille élancée, céleste
La laine de brume tombe et s’enchâsse.

Le tricot des nuages enveloppe pour un instant
Et la terre, et la mer, et les hommes.
Et lui. Elle ne le voit pas.
Il. Puissant.
Ouvre les tiroirs du ciel pour trouver sa route dans les mers déchirées.
Elle. Patiente.
Colorie les nuits de sable fin, grains à grains enfilés.

Elle silence le monde de certitudes qui s’accrochent au récif.
Les cailloux dans sa main respirent des miroirs d’eau.
Une transparence l’éblouit et lui éclate au visage comme une bulle de savon.
Une folie évanescente, envahie d’infinités.
Elle. Et il ne l’entend pas.

Deux pommes de pin accrochées à une même branche. Jumelles.
Comme il et elle.
Elle scrute la mosaïque océane à marée basse.
Il regarde s’écouler les veines de mer sableuses.
Arrêt. Main dans la main. Sur l’île.

10 ans. C’est maintenant.

Ecrit le 8 mai 2015
Droits réservés © 1001 petits pois

 

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Zoo

Deux yeux chaume dans la brume de neige
Ombre-phoque en miroir

Un chien-peluche face à l’immensité
Page blanche, tableau de silence

Les traces du panda, coton zébré
Trait d’encre de chine en sourire esquissé

Jument lunaire au coin, douceur secrète
Nuit déchirée, éthérée et feu follet

Avalanche de transparences sur aube charbon
Etoile filaire en attente du souffle

Ours d’eau dans une valse d’amour
Au sacre du Printemps

Traces floues d’éclats de plume, de soleil-bulle
Khôl sublimé au vert pointé

La goutte tombera-t-elle de la griffe herbée ?

Ecrit le 20 octobre 2014
Droits réservés © 1001 petits pois

7 fois

Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui effleure les murs de pierre comme d’autres caressent les têtes des chiens.

Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui enlace les arbres comme d’autres embrassent leur amant.

Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui grimpe sur les toits d’ardoise pour toucher le ciel comme d’autres gravissent l’Everest.

Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui répond à l’appel des gréements comme d’autres rythment leur vie au son des cloches.

Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui aquarelle la mer à l’infini comme d’autres accrochent des paysages figés dans des cadres aux murs des maisons.

Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui imagine des bestiaires sauvages dans les branches des nuages comme d’autres visitent des zoos à l’appareil photo.

Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui vénère la sorcière pétrifiée de l’île comme d’autres adorent des dieux imposés.

Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.

Sauf le jour où.

Le jour où, elle a couru à en perdre pied, autant que ces jambes pouvaient la porter.
Le jour où, sur son passage, tous les chiens loups se sont mis à hurler.
Le jour où, les hommes au port l’ont vu apparaitre et disparaitre en un éclair d’instant.
Le jour où, l’arbre perché s’est incliné devant sa course femelle et l’arbre debout a imploré son pardon.
Le jour où, son corps glissant plus vite qu’elle, le sang a jailli de ses genoux sur les escaliers de pierre.
Le jour où, elle a tourné en oblique pour ne pas avoir à la regarder en face, la chapelle.
Le jour où, le vent a stoppé ses cris et ses pleurs avant qu’elle ne fonce droit dans le mur.

Et de derrière, elle a commencé sa ronde.

Je te salue.

Je te salue.
Aux cornes du diable.

Je te salue.
A la chapelle emmurée.

Je te salue.
Aux sept recoins cachés.

Je te salue.
A la cloche guillotinée.

Je te salue.
A la croix fanée.

Je te salue.
A la porte des grands, à la porte des enfants, à la lucarne des chats et à la porte des morts.

Je te salue.

Elle est entrée dans la chapelle. S’est assise par terre. A fermé les yeux.
Elle n’entend que son cœur rompu.
Dans la résonnance des pierres, c’est le silence qui la salue.

Elle est sortie de la chapelle. S’est assise par terre. A fermé les yeux.
Elle n’entend que les voix des embruns qui sifflent dans sa tête.

Et le murmure … tourne 7 fois tes doigts dans tes poches …

Et dans sa poche, le silence du taiseux …
Le regard d’eau lavée …
Le visage buriné …
L’arôme tabac froid …
La main granit du géant.

Et dans sa main, une goutte de pleur perdue …
Et le médaillon du père.

 

Ecrit le 9 mai 2015
Droits réservés © 1001 petits pois

La médusée

Absorbé,
le cristal de la caresse encerclée et encombrée.
Respirée,
l’empreinte des embruns et des en-bleus sur des graines de plage.
Apprivoisé,
le parfum d’eau pâle sur une vague limbée.

L’hippocampe estompe une larme carapace,
La médusée se fait fée sous la trace.

L’infini tend à l’éphémère.
Décline.
S’éteint.

Ecrit le 22 octobre 2014
Droits réservés © 1001 petits pois

Traversée zen

Le ponton : il est assis, immobile sur la corde de Sé.

Le navire : il est debout, regard planté, corde de Sé à la main, corne de brume de Ré à la bouche.

L’île : il est couché, corde de Sé, corne de Ré à ses pieds, il contemple l’étoile filée et devine la coque de Ni.

Latitude : il est là, corde de Sé, corne de Ré, blotties dans la coque de Ni ; il croque le Té et savoure l’infini.

A force de corner, de corder, de coquer, de croquer … Il est ailleurs, il traverse son océan de sérénité. Du temps passé.

A faible de Sé, de Ré, de Ni, de Té … Elle est ici, elle finit de plumer l’oiseau rare. Au temps présent.

Ecrit le 15 février 2014
Droits réservés © 1001 petits pois

Gestes

Rester le cœur endormi sur une image
Partir en équilibre sur le fil vide
Rester l’arbre planté au creux de la main
Partir vers le mi-noir encadré
Gester d’un trait l’indéfini
Rire, signe majestueux
Gester d’un souffle plénitude
Rire, bonheur parenthèse

Restes d’une envie suspendue, zestes d’art raté
Restes du souvenir d’après, zestes d’écrit jeté

Ce qui s’éteint reste à venir.

Ecrit en 2013
Droits réservés © 1001 petits pois

Variations

Original – Premiers paragraphes de « Confiteor » – Jaume Cabré (Editions Actes Sud)

Confiteor_Jaume_Cabre

Variation n°1 : Te frôler

Ce n’est que maintenant, alors que je bute et trébuche à l’entrée du souterrain, que je comprends qu’avancer dans le noir est une erreur impardonnable. Tout à coup, j’entends clairement à quoi ressemble un cœur battant.  Au fur et à mesure que je marche à pas feutrés, l’odeur persistante de mes croyances imprécises me saute à la gorge et se noie au creux de mon ventre. Tout en recevant l’averse de mes pensées illuminées, et chargée de mes erreurs et de mes succès, je parviens à la conclusion de mes divagations du moment.  Je me sens désemparée et il me manque. Malgré la distance. Malgré la panique.

Car je sens bien que la danseuse m’invite à la suivre dans le cercle de feu. Elle a planté son pas dans le sol et m’invite d’un geste pointu de la main à poursuivre la partie. Mais je ne peux pas bouger, je n’aime pas valser et c’est peut-être cela, ma dernière chance. Je vais tenter de retomber sur mes quatre pattes, même si pour être honnête, humaine que je suis depuis longtemps maintenant, je n’en ai plus que deux.

Je fais un effort pour ne pas trop inventer : il y a longtemps, cet homme a croisé mon chemin. Il est la cause de mes tourments du moment. Sans lui, elle n’apparaîtrait sans doute pas sur la piste, interprète brûlante du flamenco de mon corps. Sans lui, de Mes Mémoires pour un seul lecteur, il n’y aurait rien, pour personne. Sans lui, le terrain vers je ne sais où ne serait aussi palpitant, perturbant.

Je fais un effort pour ne pas trop aimer : il y a longtemps, tu as croisé mon regard comme on croise le fer. Un instant. Tu es la cause de mes tourments du moment. Sans toi, je demeure sans croyance, sans prêtre, sans conscience. Sans toi, je ne sais pas comment m’y prendre, m’y envelopper, m’y résoudre. Sans toi, je ne suis pas capable de remonter si loin, je commence beaucoup plus près de nous, beaucoup plus près. A te frôler. Avec toi.

Variation n°2 : Seule

Je marchais
J’ai compris
J’ai toujours été seule
Il m’a fallu 40 ans
J’espère
Je n’accepte plus
Je demeure sans
Je me sens vieille
Je regarde
Je suis seule
Ne me fais pas trop confiance
Je ferai un effort
Je ne sais pas
Je ne suis pas capable

Ecrit le 5 mars 2016
Droits réservés © 1001 petits pois

 

 

Je pense à vous

Je n’ouvre pas, je n’attends rien
Ni personne.
Et voilà que je pense à vous, en dehors.
Pourquoi ? Peu importe.
Je pense à vous et vous disparaissez
Tel un silence ou deux folies passagères.

Pour ?
Peu porte.
Ni sonne.
Et voilà que je pense à vous, en dedans.
Telle ma tête à l’envers et mes mots qui s’entrechoquent.

Et alors ?
Rien, une folie et deux silences passagers.

Sur un quai de gare.
Train 3228, place 51, côté fenêtre.
Destination : nulle part.

Je pense à vous.

Ecrit le 5 mars 2016
Droits réservés © 1001 petits pois