Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui effleure les murs de pierre comme d’autres caressent les têtes des chiens.
Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui enlace les arbres comme d’autres embrassent leur amant.
Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui grimpe sur les toits d’ardoise pour toucher le ciel comme d’autres gravissent l’Everest.
Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui répond à l’appel des gréements comme d’autres rythment leur vie au son des cloches.
Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui aquarelle la mer à l’infini comme d’autres accrochent des paysages figés dans des cadres aux murs des maisons.
Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui imagine des bestiaires sauvages dans les branches des nuages comme d’autres visitent des zoos à l’appareil photo.
Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Elle, qui vénère la sorcière pétrifiée de l’île comme d’autres adorent des dieux imposés.
Tourne 7 fois tes doigts dans tes poches
Il lui disait ça, le père.
Sauf le jour où.
Le jour où, elle a couru à en perdre pied, autant que ces jambes pouvaient la porter.
Le jour où, sur son passage, tous les chiens loups se sont mis à hurler.
Le jour où, les hommes au port l’ont vu apparaitre et disparaitre en un éclair d’instant.
Le jour où, l’arbre perché s’est incliné devant sa course femelle et l’arbre debout a imploré son pardon.
Le jour où, son corps glissant plus vite qu’elle, le sang a jailli de ses genoux sur les escaliers de pierre.
Le jour où, elle a tourné en oblique pour ne pas avoir à la regarder en face, la chapelle.
Le jour où, le vent a stoppé ses cris et ses pleurs avant qu’elle ne fonce droit dans le mur.
Et de derrière, elle a commencé sa ronde.
Je te salue.
Je te salue.
Aux cornes du diable.
Je te salue.
A la chapelle emmurée.
Je te salue.
Aux sept recoins cachés.
Je te salue.
A la cloche guillotinée.
Je te salue.
A la croix fanée.
Je te salue.
A la porte des grands, à la porte des enfants, à la lucarne des chats et à la porte des morts.
Je te salue.
Elle est entrée dans la chapelle. S’est assise par terre. A fermé les yeux.
Elle n’entend que son cœur rompu.
Dans la résonnance des pierres, c’est le silence qui la salue.
Elle est sortie de la chapelle. S’est assise par terre. A fermé les yeux.
Elle n’entend que les voix des embruns qui sifflent dans sa tête.
Et le murmure … tourne 7 fois tes doigts dans tes poches …
Et dans sa poche, le silence du taiseux …
Le regard d’eau lavée …
Le visage buriné …
L’arôme tabac froid …
La main granit du géant.
Et dans sa main, une goutte de pleur perdue …
Et le médaillon du père.
Ecrit le 9 mai 2015
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